- HORN (R.)
- HORN (R.)HORN REBECCA (1944- )Née en 1944 à Michelstadt-Hambourg, l’artiste d’origine allemande Rebecca Horn a réalisé ses premiers travaux en polyuréthanne, ce qui provoque chez elle une grave infection pulmonaire. Pendant près d’un an, elle sera assignée à résidence dans un hôpital puis en sanatorium. De Kafka et Thomas Mann à Thomas Bernhard, la littérature allemande a souvent exploité le thème biographique d’une humanité fragilisée dans l’intemporalité du sanatorium. Un des aspects programmatiques de l’œuvre de Rebecca Horn pourrait être résumé par cette scène de La Montagne Magique de Thomas Mann, où le héros assiste à une radiographie des poumons: la machine jetant ses éclairs magnétiques et le corps souffrant d’un «pneuma» (souffle) déficient, semblent se souder dans une étreinte définitive, respirant au même rythme pneu-mécanique . Entretenant des liens de proximité avec Joseph Beuys et Jannis Kounellis, les machines-paraboles de Rebecca Horn sont finalement plus proches des idéalités fonctionnelles de Léonard de Vinci: elles expriment, par une scansion concertée et aléatoire, le désir et l’insatisfaction. Et comme chez le Florentin, elles décrivent une riche fantasmatique intérieure. Les premières expériences mettent en scène des «prothèses» du corps (La Licorne, performance, 1971; Machine à faire circuler le sang 1970; Extension de la Tête, 1972), qui prolongent membres ou organes. Parallèlement, une série de «carcans» (Boîte à mesure 1970), ou «d’écrans» mobiles (Masque-coq , 1973), rétractent et réfractent les extensions naturelles du corps, ou pétrifient sa stature sous un manteau de plumes avant de lui rendre, partiellement, sa liberté (La Veuve du Paradis , 1975). Rebecca Horn cultive alors une sorte de fétichisme cinétique, dont elle trouve heureusement l’issue dans le cinéma. Trois films majeurs réalisés par l’artiste reprennent et amplifient l’évolution de sa recherche (Der Eintänzer , 1971, La Ferdinanda: Sonate pour une villa Médicis , 1981; Buster’s Bedroom , 1990, hommage à Buster Keaton). Mouvement du film, des performances, de l’artiste: depuis l’expérience dramatique du confinement en sanatorium, toutes ses biographies précisent en effet que «Rebecca Horn voyage». De fait, la liste de ses installations en Europe et aux États-Unis, révèle un incessant dialogue entre le moi et le mythe. New-yorkaise d’adoption, elle explore le Nouveau Monde par le prisme kafkaïen dans Der Eintänzer . Redevenue allemande, elle confronte ses compatriotes aux heures noires du nazisme. C’est dans une tour fondée à Munster sous le premier protestantisme et utilisée par la Gestapo pour torturer des prisonniers qu’elle installe son Concert à Rebours en 1987: végétation luxuriante, sculptures humaines, bruits paisibles recréent, par dissonance historique, l’image d’un paradis terrestre au sein d’une prison de l’horreur. À Barcelone, en 1992, non loin des réalisations technologiques de l’Exposition universelle, elle propose un drame «privé», intense et protéiforme scénographie qui investit un ancien hôtel de passe (Chambre de la terre, hôtel Peninsular , 1992). L’impact plastique et émotionnel des créations de Rebecca Horn est extrême: La Machine-paon , qu’elle déploie son manteau de plumes diaphanes dans le long-métrage La Ferdinanda , ou hérisse ses baleines métalliques dénudées au milieu d’un temple octogonal ouvert sur le parc de la Documenta 7 de Kassel (1982), énonce les rites d’une parade amoureuse qui se suffit à elle-même. L’effet est voulu: le plaisir pris à ce mouvement renvoie le spectateur à son propre imaginaire. Cette vaste ambition de créer des machines reproduisant et métaphorisant la structure et les rythmes de l’homme, s’inscrit dans une longue tradition que l’on pourrait nommer la tentation du Golem. Une part de l’œuvre, assez discrètement soulignée par Rebecca Horn, reste à explorer. Ce sont justement ses liens avec l’hermétisme. Le mercure (La Rivière de la lune, installation, Barcelone , 1992; La Forêt-hydre , 1988), ce vif-argent si essentiel aux transmutations alchimiques, a souvent la faveur de l’artiste, et le film La Ferdinanda avait pour fil rouge Les Noces alchimiques de Christian Rosankreutz, texte majeur de la littérature Rose-Croix. Que la rhétorique hornienne mette au premier plan des «noces», célébrées ou contrariées, toujours possibles, l’exposition du musée Guggenheim à New York, poursuivie en 1995 au musée de Grenoble, l’aura suffisamment démontré. Le catalogue de cette rétrospective (Réunion des musées nationaux, Guggenheim, 1995) avec des textes (en particulier de Germano Celant) et plusieurs interviews de l’artiste, exploite longuement le thème des quatre éléments, conçus comme fusionnels. Depuis Marcel Duchamp et la contention onaniste des Célibataires mêmes mettant à nu une Mariée , un pas vers le rapprochement Masculin-Féminin (elle exposa en 1996 à cette manifestation du Centre Georges-Pompidou) a donc été fait par Rebecca Horn, un cap franchi. Enfin, qu’un piano suspendu à l’envers aux cintres laisse choir ses notes grêles (Concert pour l’anarchie , 1990) , ou qu’une paire de vastes entonnoirs laisse goutter soufre et charbon (L’Androgyne , 1987), les prométhéens alambics de Rebecca Horn ressuscitent un or du temps, ombilic des limbes: le docteur Faust peut être fier de sa digne héritière.
Encyclopédie Universelle. 2012.